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  • Hugo Protat

Les fédés font-elle équipe avec le journal ?

Première femme journaliste à France Football en 1999, Rachel Pretti est aujourd’hui la spécialiste des sujets concernant les institutions sportives pour le journal l’Équipe. Elle nous explique sans tabou ses relations avec les différentes fédérations et instances sportives françaises. Plongée dans le monde politico-sportif.


(Crédit photo : Paul Prestreau l'Express)

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Rachel Pretti :J'ai fait Sciences Po Grenoble. Ensuite, j'ai intégré l'école de journalisme de Lille et poursuivis par un master de journalisme européen à l'école de Strasbourg. Je me suis spécialisée car je voulais faire de la politique à Bruxelles, aux affaires européennes. Comme il n’y avait pas trop de places, j'ai commencé ma carrière avec les Jeux olympiques d’hiver d’Albertville en 1992. J’avais écrit un papier pour un magazine qui s'appelait Sport et Vie. Depuis cette expérience, je suis restée dans le sport et je me suis spécialisée dans les médias et le business puisque après la victoire des Bleus en 98, ces sujets business sont devenus très demandés en rédaction. Je suis entrée à France Football en 1999, le magazine foot du groupe de l'Équipe, en tant que pigiste. J'ai été embauchée en 2004. Ensuite je suis passée au journal l'Équipe en 2013. Depuis 2017, je suis au service omnisports et je traite de tous les sujets autour du comité d'organisation des Jeux de Paris 2024 et des institutions sportives.


Qu'est-ce qui vous plaît dans cette matière un peu particulière ?

RP : “Le truc, c’est que moi, j'aime bien les gens et la matière sportive. Je trouve que ce qui est attachant dans ce métier, ce sont les gens que tu rencontres. Certains diront que c’est pour les athlètes, c’est vrai qu’ils sont super, mais moi j'aime bien aussi les personnes avec lesquelles je travaille. Le milieu sportif est vraiment sympa et comme je suis sportive aussi, j’aime y travailler.


Oui, je partage complètement avec vous cette passion mais pourquoi ce goût pour l'aspect très politique du sport ?

RP :“Sûrement parce que j'ai fait Sciences-Po et que je voulais faire de la politique ! J'aime être partout et savoir qui décide et comment ça se passe à l’intérieur des organisations. C'est bien de le voir un peu sur le terrain aussi, et pas uniquement dans des bureaux ou des salles de réunions. C’est passionnant et très intéressant les hautes instances.


Et au quotidien, comment cela se passe ?

RP : Au quotidien, il faut être proche des dirigeants des fédé pour avoir des infos. Concernant les autres institutions, je suis en relation régulière avec le ministère des Sports, avec l'Agence, avec Matignon et l'Elysée qui te font passer des messages et qui proposent des choses. À moi ensuite de vérifier les infos. Il y a des sujets qui viennent à toi si j'ose dire, mais cela n’empêche pas de faire son métier de journaliste. Par exemple, quand le président de la République fait la réouverture des clubs, c'est un gros Barnum, qui implique un déplacement organisé donc tu y vas puisque c'est pour ta rubrique. Mais en marge du déplacement officiel, on apprend toujours des choses. Alors j’essaie de gratter un petit peu pour avoir des infos.”


Comment sont vos relations avec les fédérations ? Cordiales, orageuses, amicales ?

RP : “Il ne faut pas tout mélanger, même si tu t’entends bien avec les gens ça reste du boulot. Je connais bien Sarah Pitkowski la nouvelle directrice de com de la FFT, j’ai bossé avec elle. Mais dans ce milieu tu n’as pas d'amis ou alors quand tu en as, tu essayes de pas faire des sujets qui se rapportent à eux. J’ai de très bonnes relations avec les fédés, puisque je vois très souvent les présidents, je les sollicite pas mal pour avoir des infos. Il y a différents types de président, par exemple je pense à ceux qui sont dans les disciplines olympiques parce qu'ils sont au CNOSF (Comité National Olympique du Sport Français). Avec les prochaines échéances, tu as besoin d’info pour savoir ce qu’il se passe. De façon générale, je m'entends bien avec les présidents de fédé.”


J’imagine que lors des grandes compétitions sportives, vos relations servent également ?

RP : “Oui aussi ! Alors que moi, je n’écrivais pas beaucoup sur les matchs quand j'étais chez France Football. Evidemment, je suivais la Ligue et la Fédé de près. J'étais souvent avec Noël Le Graët, Président de la Fédération Française de Foot, le service marketing et les diffuseurs. Mais lorsque que je suis sur le terrain dans ces grandes compétitions, je suis plutôt avec les entraîneurs et les athlètes, même si les présidents ne sont jamais très loin. Cet été, à Tokyo, par exemple, j'ai vu beaucoup les présidents de “fédé” au club France, mais quand tu couvres une compétition, ça se passe surtout au stade avec les athlètes et les entraîneurs.”


La une du journal l'équipe d u 25 juillet dernier, avec un papier signée Rachel Pretti encadrant le Président de la république, Emmanuel Macron et Tony Estanguet, le président du comité d'organisation Paris 2024

Vous avez suivi de près le dossier de Paris 2024, au point que vous en êtes devenue la spécialiste pour l'Équipe. En tant que média sportif de référence, comment racontez-vous cet événement qui mélange politique et sport.

RP : Nous sommes deux avec Marc Ventouillac à suivre le sujet de façon assez rapprochée, dirons-nous. Après, d'autres journalistes viennent se greffer en fonction des sujets.


Cette rubrique des JO 2024 est assez politique, les deux signataires du contrat de ville hôte étant la mairie et le CNOSF. L'organisation repose sur deux piliers : le comité d’organisation des JO et la Solido qui est chargée de livrer les ouvrages. Il y a plus d'1 milliard sur les 3 du budget global qui est amené par les collectivités et l'État, donc forcément, il y a tous les aspects politiques. Contrairement aux États-Unis, Paris 2024 n'était pas du tout une candidature business avec les sponsors qui dictent leurs exigences. En plus, le fait qu'il y ait un délégué interministériel aux Jeux olympiques, vous voyez, ça plante déjà le décor !


Évidemment le “cojo” (comité d'organisation des Jeux olympies) aimerait bien qu’on ne relaie que les infos sympas et que l'on ne sorte pas des informations compromettantes, mais chacun son boulot. Nous sommes contents qu’il y ait des jeux, mais nous ne sommes pas là pour faire de la communication, évidemment. Ça pose les bases, déjà.”.


Vous avez une relation avec les fédés qui peut s’écrire sur plusieurs tableaux : la puissance du journal mais aussi la chaîne l'Équipe qui diffuse des compétitions nombreuses et variées. J'imagine que les relations peuvent parfois être tendues si vous écrivez un article qui met en cause une fédération le matin dans le journal alors que vous diffusez un match ou une compétition le soir même. Comment ça se passe dans cette situation, vous n’êtes pas au milieu d’un conflit d'intérêt ?

RP : Je ne me suis jamais posé la question parce que c’est vrai qu’il s’agit du même groupe. À titre personnel, je ne suis pas du tout liée à la chaîne. Je n’ai jamais eu ce genre de conflits d'intérêts comme vous l’évoquez. Ça ne m'a jamais effleuré, alors peut-être que je devrais. Je pense que c'est complètement différent car les droits télés sont négociés par la chaîne qui est diffuseur. Ça ne m'a jamais entravé dans mon travail, ni empêché de sortir une info ! “.


Vous avez donc aussi une relation client-fournisseurs avec certaines fédérations ?

RP : “Oui, si vous parlez de ceux qui travaillent au marketing du groupe. Mais à la rédaction du quotidien, c’est différent. Heureusement, sinon je pense que ça ne serait pas possible de travailler en tant que journaliste"


L’image d’une fédération peut-elle dépendre de ce que vous en dites dans l'Équipe ?

RP : Oui, un peu mais ce n'est pas notre objectif. Quand nous avions sorti un rapport de la Cour des comptes, qui dressait un bilan très critique de la gestion financière de la Fédération française de judo, elle ne s’en est pas sorti grandie. Il y aussi des révélations dans d’autres journaux comme le Parisien, qui avait sorti l’affaire des violences sexuelles à la Fédération des sports des glaces.


Nous ne sommes pas là pour parler uniquement quand ça va, mais aussi quand ça ne va pas bien. Nous ne sommes pas une agence de communication.


L'Équipe a donc de la concurrence quand il s’agit des affaires ?

RP : “Parfois, il y a des infos que nous avons en avance mais on doit s’entendre pour les publier avant les autres, c'est comme des exclus. Mais le “cojo” par exemple, les donne parfois au Parisien, aux Echos et à l'Équipe en même temps. Ça énerve tout le monde mais c'est leur façon de faire. Et puis il n’y a pas que le comité qui procède comme ça, nous ne sommes pas dupe ! Il y a forcément des “deals” et donc de la concurrence.”


Lors des campagnes électorales au sein des fédérations, on entend très souvent au sein du milieu sportif que vous “faites campagne” pour un candidat plus que l’autre. Comment réagissez-vous à ça ?

RP : J’ai entendu ces rumeurs concernant la campagne de Gilles Moretton qui est devenu président de la FFT et la même aussi pour le rugby. C’est le problème quand il y a un candidat ou un président sortant qui ne s'entend pas trop avec les journalistes qui sont spécialistes dans leur discipline. Je vous avoue que je ne me mêle pas de ça, j’ai laissé l'équipe du tennis gérer ça. Je pense que les relations avec le président sortant Giudicelli n’étaient pas au top, mais moi, je ne rentre pas du tout dans le truc. Ça ne m'a pas empêché de l'appeler de temps en temps pour des sujets transversaux.


Pour Bernard Laporte, c'est pareil. Quand on est "tricard'' à la fédé de rugby, c’est compliqué de bien suivre des élections. Ce sont des choses qui dépendent de chaque rubrique.


Selon vous, quel est le rôle ou la place que doit avoir une fédération dans l'espace médiatique ? Qu’est-ce qu’elle doit raconter dans votre journal ?

RP : Elle doit nous expliquer comment elle valorise son sport. Comment d'un côté, elle fait en sorte d'avoir des champions et comment elle développe la pratique. Un peu à l’image de l’Agence nationale du sport, il y a la partie compétition sportive et la partie développement pour tous avec le sport amateur.


Après, concernant les actions et initiatives ou les compétitions qu’elles organisent, elles communiquent aussi. Mais, là, il s’agit surtout des grosses fédérations. Vous connaissez bien la hiérarchie des sports dans l'Équipe. C'est quand même la moitié du journal qui est consacrée au foot. C'est plus dur quand vous êtes la fédération de badminton, par exemple, d’avoir des sujets sauf pendant les compétitions internationales évidemment. Ce qui ne m'empêche pas d’appeler le Président du badminton parce qu'il a de bonnes idées et qu’il veut changer les choses.


Capture d'écran instagram paris2024

Justement, comment voyez vous l'avenir de votre travail et de vos relations avec cette nouvelle génération de présidents ? Auparavant, les présidents étaient présents dans leur organisation depuis plusieurs décennies. Aujourd'hui, c'est une nouvelle génération composée de personnes qui ont eu une première vie dans le milieu sportif et qui ont réussi leur vie d'entrepreneur après, pour finalement revenir à leurs premières amours. Ça va changer les choses en termes de communication selon vous ?

RP : “C'est un peu difficile à dire ! En tout cas, dans la façon de gérer les fédérations, je vois que déjà ça bouge. C'est un peu moins “à la papa”, plus ouvert et nous allons peut-être avoir plus d’infos, mais je ne suis pas en relation avec toutes les fédérations. Elles ont toutes plus ou moins un service de communication, ou certaines travaillent avec des agences. Cette volonté d'ouverture, je pense que ça peut aider dans la façon d’envisager les relations. Ne serait-ce que de se rencontrer plus souvent et surtout de ne pas cacher la poussière sous le tapis. Ce qui, tout de même, était un peu la tendance avant !”


Paris 2024, c’est demain, je sais que vous vous y préparez. Alors, quelles sont les prochaines grandes échéances ?

RP : “Les échéances vont être celles du "cojo", par exemple le J-1000. Après, il y aura le lancement de la billetterie et ça, c’est gros comme enjeu. Il y aussi celles fixées avec le CIO, notamment avec le CNOSF ou encore la livraison des premiers équipements, un énorme sujet, et plus fun, la révélation de la mascotte. Je m’en réjouis d’avance. Les JO, c’est vraiment l’événement ultime pour le sport et nous serons prêts.”

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